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Jours tranquilles à Belleville : L’atelier idéal

Elles sont trois femmes, Charlie Cappable, Olivia Pellerin et Virginie Blajberg à partager un atelier niché sur les hauts de Belleville, juste à côté des Buttes Chaumont. Trois créatrices, trois artisanes aux univers bien distincts, qui partagent ce lieu serein, caché derrière une lourde porte cochère qu’on pousse en ayant l’impression de faire un voyage dans le temps. Un saut au cœur d’un Paris sorti d’une œuvre de Georges Perec ou Raymond Queneau. Les coursives, aux petites portes peintes chacune d’une couleur différente, mènent à des ateliers baignés de lumière. La cour pavée croule sous les fleurs et les plantes, choyées par une concierge aux pouces verts. Mais en poussant la porte de ce lieu de création totalement féminin, on balaie l’image d’Epinal pour découvrir trois talents aux personnalités et aux styles bien affirmés et totalement modernes, qui bousculent les codes de l’artisanat et font entendre leur voix.

Charlie Cappable nous accueille, c’est par elle que l’aventure a commencé. Lorsqu’elle a décidé de s’installer pour créer pour elle-même, après 15 ans passés à le faire pour d’autres, en tant que décoratrice de cinéma, elle entend parler de ce lieu disponible et le découvre déjà équipé d’un four à céramique. Alors qu’elle n’a jamais travaillé l’argile, elle va se lancer dans la céramique sans idées préconçues sur ce qu’il est possible ou non de réaliser. Ce manque de formation empirique devient un atout qui va la pousser à expérimenter avec cette matière, à la pousser dans ses derniers retranchements, parfois jusqu’à la rupture, mais aussi jusqu’à l’obtention d’objets hybrides inédits à la fois pratiques, épurés et drôles.

Dans ce quartier de Belleville qui est le sien depuis longtemps, Charlie glane des objets en plastique aux couleurs rutilantes. Sortis fraichement d’un bazar chinois ou récoltés dans les piles d’objets abandonnés au coin des rues, les spécimens multicolores en PVC, polyéthylène, polyacrylique, élastomères et polymères en tous genres, s’accumulent chez elle en une étonnante collection. Elle voit dans ce matériau roi de la société de consommation, un outil symbolique et poétique, dont les transparences et opacités, les couleurs teintes en masse, lui offrent un vaste terrain d’exploration et d’inspiration. Elle lui rend sa fonction polymorphe première, le plastique étant par essence la pour se fondre et se couler dans tous les objets qui peuplent nos envies. Alors elle l’associe au noble grès, transforme des ustensiles triviaux en objets décoratifs purs. La carapace de plastique de ses plafonniers 280° ou ChriFtine diffuse la lumière à la manière du verre soufflé, créant une douce illusion d’optique.

Dans son travail de la terre cuite elle combine toujours le noir et le blanc, qu’elle fait vibrer au moyen d’une couleur et elle utilise le graphisme sec qu’impose le respect de la géométrie la plus pure. Ronds, carrés, triangles, ellipses, se combinent, s’empilent, se complètent. Comme Charlie est dotée d’un imaginaire fertile et fantasque, mais qu’elle connaît aussi ses classiques, la forme suit la fonction et elle vous entraine et vous suggère le mode d’emploi de cette vaisselle inspirée.

Café/Clope, se partage à deux. Deux comme vous et vos petits vices indissociables, caféine et sa copine nicotine, mais aussi vous et votre meilleur ami pour les partager. La sous-tasse peut servir de couvercle pour maintenir le breuvage au chaud, mais aussi, oh joie! de cendrier à deux places. Tels des crans sur un cadran imaginaire, les motifs combinés des grands bols et assiettes empilables O’clock forment des boites et vous donneront l’heure, même si vous ne leur avez rien demandé. En revanche ce sera toujours là même, votre heure préférée en quelque sorte, celle de la pause déjeuner, à vous de bien la choisir. Mêlant pureté des lignes, ascèse de la matière, couleurs primaires et détournements, les créations de Charlie Cappable oscillent joyeusement entre brutalisme et le dadaïsme.

Olivia Pellerin la seconde résidente partage avec Charlie, la passion de la terre et le fameux four à céramique. Elle modèle et façonne des objets en céramique et réalise des décors peints sur porcelaine fins et organiques, inspirés par la nature.

Après s’être formée au design et avoir travaillé en tant que Directrice de Création pendant 10 ans dans une agence d’architecture commerciale, Olivia a mené une profonde réflexion autour du sens qu’elle voulait donner à son travail avant de se lancer dans cette aventure.

Elle s’était déjà essayée à la céramique, mais un cadeau, un stage de pastillage à la Manufacture de Sèvres, va rouvrir son appétit pour la terre. Cette technique développée au XVIIIe siècle dans les ateliers de Sèvres, destinée à orner les robes des sujets et les objets en biscuit, consiste à réaliser, à partir d’une petite pastille de pâte, diverses formes végétales.

Assemblées elles formeront des bouquets ou des guirlandes très réalistes. Olivia exhume pour nous de petites boites en carton ces premiers essais réalisés à l’époque, enveloppés précieusement dans du papier de soie et l’on s’aperçoit de l’importance de cette expérience, tant ils sont originaux et ne cesseront de réapparaitre dans son travail. Elle a déjà imaginé ces spécimens chimériques mi terriens mi aquatiques, mi végétaux mi animaux, ces fleurs délicates aux pistils s’animant comme de petits tentacules, ces cumuls de minuscules boutons végétaux, qui ornent une partie de son travail modelé et de sa collaboration avec la créatrice textile et brodeuse Julia Gruber.

Cette expérience est aussi l’occasion d’une rencontre avec l’artisan qui la forme, qui lui donne envie de promouvoir ces savoir-faire d’exception.

Mais l’importance qu’elle accorde à la création originale, son envie de retourner au dessin, au travail de la matière, au « faire » elle-même, la poussent à se lancer et à poursuivre sa formation en céramique dans un autre atelier. Elle garde à cœur de perpétuer ce qu’elle a toujours aimé dans ses expériences précédentes : l’accompagnement des autres et les échanges créatifs avec ses clients. Elle va très naturellement trouver un moyen de concilier ces impératifs avec le statut plutôt solitaire de l’artisan dans son atelier en travaillant sur commande ou par le biais de collaborations. Les contraintes liées aux désirs et aux savoir-faire de l’autre alimentent son processus créatif.

Son travail s’oriente vers les arts de la table par le biais de collaborations avec des chefs et des traiteurs qui la sollicitent pour développer des services autour de menus thématiques ou évènementiels. A chaque fois elle s’inspire de l’univers culinaire, des saveurs et couleurs qui forment la palette gustative de ces chefs pour imaginer ses créations. Le bleu domine, qu’il soit indigo, outremer, turquoise ou de Delft. Il ponctue les plats de tâches diffuses comme des aquarelles, comme sur ces assiettes créées pour le restaurant de l’hôtel Bienvenue

On découvre aussi beaucoup de belles réalisations en peinture sur porcelaine autour du mariage, comme ce service orné de plantes entremêlées de tâches bleu profond qui évoquent un fond marin  ou des commandes personnelles de petites pièces décoratives, comme ce merveilleux vase en grès blanc modelé, à l’engobe rose pimpante, commandé par une mère pour sa petite fille, grande cueilleuse de fleurettes, ou bien ce service offert en cadeau de mariage .

De belles collaborations sont à venir pour cette année, dont on retient celle prometteuse, avec le jeune chef d’un grand restaurant parisien étoilé.

Virginie Blajberg créatrice de bijoux, est la troisième occupante que nous rencontrons. Ses créations oniriques sont nourries par une enfance bercée entre bricolage et contes de fées, deux habitudes qu’elle a conservées et qui infusent son travail.

Devenue graphiste dans une agence de pub travaillant pour le cinéma, elle va réaliser des affiches de films pendant 20 ans, mais rêve depuis longtemps de créer des bijoux.

C’est à l’AFEDAP qu’elle va acquérir pendant deux ans les savoir-faire nécessaires à la création de ses bijoux contemporains et y produire un travail d’étude sur les mémoires du corps. Elle voit déjà le bijoux comme un prolongement de notre corps physique, mais aussi comme un support mémoriel, qu’elle poussera jusqu’au reliquaire, notamment avec sa fibule Saint Eloi.

La photo est au centre de ses créations, qui opère un travail de mémoire ou histoires familiales et contes se mêlent. Virginie collectionne les plaques photographiques, qu’elle choisit pour leurs qualités graphiques avec leurs contrastes noir et blanc, mais aussi pour les décors qu’elles lui fournissent. Des branchages hivernaux évoquent des forets où il ne fait pas bon s’aventurer lorsque l’on va visiter son aïeule avec un petit pot de beurre et des maisons aux façades austères renforcent le côté romantique Victorien de ses créations qui fascinent, telles des miniatures.

Virginie ne travaille pas à cire perdue, mais façonne l’argent à la main avec de petits outils de cordonnier, dont les irrégularités laissent des traces infimes sur la matière. Elle intègre ces plaques photo dans des broches et pendentifs, mais collecte aussi d’infimes objets dans des brocantes qui trouveront leur place sur ses créations uniques.

Les pierres précieuses ou semi précieuses, sont peu travaillées pour leur conserver un aspect brut et liées à des anneaux d’argent martelé ou nouées par un fil de métal précieux, comme un présent crée spontanément pour déclarer sa flamme. Elle égrène aussi le collier de perles de sa mère, comme un chapelet dont les grains qui ressemblent à du riz narrent une histoire de filiation par les femmes. Elle a d’ailleurs crée avec ces perles une très belle collection dédiée à sa nièce, Lou. Elle se compose de bagues en argent qui accueillent les perles dressées dans de petites cupules, tels des pistils et de longues dormeuses en argent fin et mobile au bout desquelles les grains s’animent gracieusement.

Maison Godillot, l’invitation au voyage

Yui et Camille Boudot ont crée à Hyères une boutique qui incarne à la perfection l’esprit néo artisan. Un subtil mélange d’objets uniques qu’ils ont trouvés dans le monde entier chez des artisans et designers ou dans des entreprises perpétuant une production artisanale en petites séries. Une sélection qui ressemble à ce couple, éclectique et chaleureux qui nous accueille dans leur magnifique Maison Godillot.

Maison Godillot rassemble un univers très personnel autour de l’Art de Vivre et propose une sélection d’objets qui, de la Provence au Japon, en passant par la Californie combinent fonctionnalité et esthétique épurée. Chacun a une histoire, un créateur avec lequel ils ont vécu une véritable rencontre et entretiennent une relation d’échange autour de son travail. Chaque objet a nécessité la mise en œuvre d’une combinaison de créativité et de maitrise de savoir-faire uniques, que Yui et Camille se font un plaisir de narrer.

Le nom de leur boutique n’est pas le reflet de l’engouement de notre époque pour les appellations rétro. Il semblait évident pour eux d’adopter le nom donné par les hyérois à la Villa Saint-Hubert, ce curieux bijou architectural édifié pour l’industriel Alexis Godillot à Hyères à la fin du 19ème siècle et dont ils occupent un des magnifiques appartements. Pierre Chapoulart, l’architecte concepteur du projet avait, dans le plus pur esprit Art Nouveau réuni la fine fleur des artisans, céramistes, menuisiers, ferronniers, vitraillistes, pour créer cet édifice ; vibrante et singulière démonstration de leurs savoir faire.

Yui et Camille sont une incarnation moderne de cet esprit dérivé du mouvement Arts and Crafts. Volontairement dans leur sélection ils n’établissent aucune frontière entre Art et Artisanat, valorisant les capacités de conception autant que d’exécution des artisans qu’ils sélectionnent et croyant fermement que le quotidien peut être peuplé d’objets beaux et utiles. Ils opèrent non seulement un travail de curation au cœur de la production des artisans mais aussi de commandes spécifiques, qui donnent toute sa singularité à leur sélection. Ils renouvellent aussi la relation commerciale avec les artisans, en se faisant passeurs de leurs savoir-faire dans les portraits qu’ils réalisent pour présenter leur travail.

Ils viennent d’ouvrir leur première boutique physique, située dans une des plus belles avenues de Hyères, bordée par d’imposants immeubles Napoléon III aux frontons portés par des cariatides. Ils y ont crée une sorte de cabinet de curiosité moderne et épuré à l’esthétique minimale, qui tranche et apporte une respiration. Un lieu qui leur ressemble dans sa simplicité et sa clarté. Ils y mettent en valeur la collection d’objets qu’ils ont réunis.

Là, dans les alcôves de la grande bibliothèque ou dans les vitrines délicates on retrouvera les poteries de Pierre Dutertre et les céramiques en Raku de Jean-Philippe Razzanti, mêlées aux soliflores en bois d’olivier tournés ou en liège de Melanie Abrantes ou au furoshikis japonais aux motifs géométriques délicats. Un univers à découvrir.

 

MAISON GODILLOT

Du mardi au samedi de 10h30 à 18h30

Au 11 avenue des iles D’or
83400 HYERES

09 84 29 23 19 contact@maisongodillot.com

Bruce Cecere : Iron Man

C’est chez Monsieur, atelier artisanal de bijouterie parisien fondé par Nadia Azoug, que nous avions remarqué ses réalisations: des vitrines imaginées ensemble et mises en oeuvre par lui. Ses écrins délicats de laiton et de verre, qui abritaient les bijoux aériens de Nadia, y créaient une atmosphère de boudoir raffiné.

Bruce Cecere, ferronnier d’art, possède un savoir-faire unique. Mêlant la légèreté du façonnage, héritée de l’école traditionnelle française de ferronnerie du XVIIIème, à une approche plus brute autour du travail de la forge et possédant un sens créatif aiguisé, Bruce Cecere sait rendre le métal vivant à bien des titres.

160725-bruce_cecere-335-copie160725-bruce_cecere-296-copieSon métier, Bruce Cecere s’y est formé depuis l’adolescence. Après un bac pro en tôlerie chaudronnerie, il réalise que sa véritable envie se trouve du côté de la forge et s’engage dans un brevet de maitrise auprès des Compagnons du Devoir. Un cheminement exigeant, qui l’amènera à travailler une fois diplômé dans des ateliers prestigieux, tel que celui du grand ferronnier d’art Joel Orgiazzi, tenant de la ferronnerie classique à la Française.

Désormais installé dans son propre atelier à Pantin depuis 2014, Bruce Cecere suit un cheminement personnel qui le pousse à expérimenter la plasticité du métal, avec ses clients architectes, designers, décorateurs, artistes. Ainsi au printemps dernier, lors des DDays, il a lui même choisi de collaborer avec le designer Samuel Accoceberry, dans le cadre des rencontres Péri’Fabrique.

De ce travail commun a émergé un projet de luminaire en métal, fin et élancé. Aux éléments bruts et industriels du métal patiné des trois branches sur balancier qui composent la structure de ce lampadaire, viennent répondre des abats jour plus sophistiqués. Fines feuilles de laiton perforé doré en bain, de laiton cuivré verni mat, pliées, ils viennent se poser délicatement sur l’acier oxydé. Cette collaboration met parfaitement en valeur la palette des savoir-faire d’un artisan tel que Bruce, qui en parfaite concordance avec un designer, peut faire glisser la matière du brutal à l’élégance dans un même objet pour créer une œuvre toute en tensions et en souplesse.

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Cette combinaison de savoir-faire et de passion, Bruce Cecere les transmet avec ardeur. Il nous fait visiter son atelier, ou s’accumulent arabesques de métal et croisillons d’acier délicatement noués de laiton, devant l’impressionnante forge, qui ce jour là restera éteinte. Le feu pourtant est un élément quasi mystique au cœur de l’atelier au travail et lorsqu’il nous décrit les attentions dont il est l’objet, lui qui doit être conduit et réglé en permanence, alimenté de charbon, on pense à ces flammes éternelles, gardiennes du sacré.

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Le métal y sera plongé afin d’atteindre la température qui permettra de le travailler. Les objets seront remis au feu perpétuellement pour les amener à la plasticité requise. Il faut prendre garde à ne pas laisser les pièces trop longtemps. Ne pas les bruler. Amener le fer à ce coloris jaune pâle, presque blanc. L’écouter aussi lorsqu’on le martèle, pour juger de sa densité. Un travail qui fait appel à tous les sens.

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Le fer devient plastique. Il est martelé sur l’enclume, plié, soudé, travaillé à l’étampe. On admire les marteaux, forgés par l’artisan, et auxquels il a imprimé la texture et le grain de roches granitiques. Il martèlera à son tour l’acier, le laiton, pour créer des motifs uniques.

La création est au cœur de la pratique de Bruce Cecere, qui sait ainsi renouveler son art, attirer à lui des créateurs reconnaissants son approche particulière et ses savoir-faire, mais aussi séduire de nouvelles générations de ferronnier d’art, qu’il prend plaisir à former.

Il a récemment travaillé avec Ron Arad à la réalisation d’égouttoirs à bouteilles compressés, en édition limitée, hommage à Marcel Duchamp et le luminaire Moon réalisé avec Samuel Accoceberry devrait être édité en 2017.

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Atelier Bruce Cecere – Ferronnier d’Art 29, Rue Cartier Bresson 93500 Pantin Tél : 01 48 46 76 82

Photos @ Nicolas Despi, Nicolas Lascourrèges et Alexandre Delamadeleine.

Edito #2 Fil Conducteur

Le 10 Novembre dernier nous avons présenté dans le cadre exceptionnel de La Villa Rose à Paris la première collaboration produite par The Artisans.

Elle a réuni l’artiste textile Meghan Shimek et la designer textile Anaïs Guery.

Un dialogue s’est établi entre les deux créatrices, un partage entre leurs univers artistiques guidé par les savoir-faire artisanaux qu’elles ont développés dans leur pratique; le tissage pour Meghan, la teinture à l’indigo végétal pour Anaïs, qui leur ont permis de créer un langage commun. Les savoir-faire comme fil conducteur, trame expressive d’une créativité orientée autour de la fibre. Six œuvres individuelles sont nées.

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Anaïs, habituée dans son travail de designer textile à travailler un fil transformé par le tissage ou le tricot, a expérimenté sur la matière brute des brins de laine cardée utilisée par Meghan. Inspirée par l’aspect vierge et duveteux du fil, elle a souhaité conserver le gonflant de la fibre dans le processus de teinture en lui imposant un minimum de manipulations.

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Travaillant autour des propriétés hydrophiles des nappes de laine cardée, elle a effleuré la matière avec son indigo, laissant la laine s’imprégner par capillarité, créant par les bains répétés des effets ombrés et dégradés. A d’autres moments elle a souhaité terminer les tissages de Meghan par une matière plus dense, en comprimant les fils et en les saturant de pigment. L’indigo devient palpable, il acquiert une nouvelle profondeur.

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Meghan s’est laissée porter par la texture et les reliefs si particuliers crées par les teintures d’Anaïs. Profitant des grands volumes de l’atelier et entourée par les créations d’Anaïs, elle a tissé un premier trio de pièces monumentales. L’indigo s’y exprime en enchevêtrements mêlants l’écru au bleu profond, rappelants les motifs dessinés par le sergé de la toile de Nîmes. Sur la seconde œuvre il se groupe en tâches puis va jusqu’à s’effacer totalement au profit de la fibre nue sur la troisième.

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S’inspirant des éléments décoratifs néo-classiques qu’elle observait dans Paris, Meghan a tressé les fils d’Anaïs en un lustre, imbriqué de lianes bleutées. Un clin d’œil à cette pièce ornementale bourgeoise par excellence, transformée en un mobile brut et organique.

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Photo Cedric Canezza

Nous remercions chaleureusement Anaïs Guery et Meghan Shimek de s’être pliées aux contraintes de cet exercice difficile, avec autant d’enthousiasme, de générosité et de talent. Nous remercions aussi La Villa Rose d’avoir si bien accueilli cette première collaboration.

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Les œuvres collaboratives sont visibles sur rendez-vous à Paris. Leurs prix peuvent vous être communiqués sur simple demande à hello@theartisans.fr.14993576_10109228814513554_868431354386581216_n

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Lou Perdigaou : Le macramé graphique de Justine Laurent

Si ce n’était le crincrin lancinant des cigales sous les pins parasols gigantesques qui abritent les maisons de leur ombre bienveillante, on croirait la Californie. La lumière crue et zénithale, brouillée par l’humidité de l’air qui laisse présager de la chaude journée à venir, l’air saturé de sel, les échos de la plage voisine, la petite maison claire au bout de l’étroite allée sableuse. Au bout du jardin un jeune homme range sa planche de kitesurf et Justine blonde et souriante sert un café fumant. La belle vie.

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Photo Clément Minair

C’est dans ce cadre inspirant que Justine Laurent réalise ses créations en macramé pour sa toute jeune marque, Lou Perdigaou, la perdrix, en provençal. S’éloignant de l’image folk que l’on peut avoir sur cette pratique, Justine y applique une rigueur quasi mathématique intrigante et séduisante. C’est en parlant avec elle de ce qui l’a amenée au macramé que l’on entrevoit des réponses. Jeune ingénieure maritime, Justine a choisi d’explorer d’autres pistes créatives que celles que sa vocation lui apportait.

Dans le macramé elle a vu une occasion de partir d’un fil, qu’elle choisit toujours blanc et de se laisser porter par l’inspiration offerte par les nœuds marins. Une déclinaison de combinaisons de nœuds sur le fil plat tressé qui dessinent des volutes, des tresses, des cibles et se décline en suspensions, en tentures murales. On la regarde répéter son geste avec régularité et précision, brassant de longues nappes de fil emmêlées, tirant d’un apparent chaos des motifs ayant la complexité de fractales.

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Photo Clément Minair

Justine a la tête pleine de projets, elle veut pousser plus loin son travail sur le bois et la céramique en association avec le macramé. Elle a d’ailleurs récemment réalisé des objets en collaboration avec la designer textile spécialiste du tissage, Julie Robert. Jouant de l’aspect mat et rugueux du grès, elles ont associé les fils de coton de Justine et les laines duveteuses de Julie, créant des suspensoirs délicats. Le bois blond et brut s’est transformé en d’élégantes étagères flottantes. Toutes ces créations appellent la cascade de végétal, pour créer de petites jungles suspendues peuplées de succulents et cactées.

Le parcours de Justine ne fait que commencer et l’on a envie de suivre ses expérimentations avec la matière. Son énergie et la clarté de sa pensée dessinent un chemin qui la portera loin.

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Calendrier de l’Avent du désir

Un Objet du désir fabriqué par un artisan par jour, pendant 24 jours

  • 1er Décembre les assiettes de la céramiste Aurelie Dorard à offrir ou s’offrir ici
  • 2 Décembre les étoles en twill et satin de soie gaufré, teint à la main en indigo naturel par la talentueuse A.guery A trouver ici
  • 3 Décembre Le bougeoir en laiton 180°, crée par Klaxon Designers . Usiné numériquement, il garde un aspect brut et minimaliste et sa matière se patine avec le temps. Il peut contenir d’un côté une chandelle et de l’autre une bougie chauffe plat.
    Vous le trouverez chez Maison Godillot
  • 4 Décembre Une théière en céramique japonaise Moderato, pour prendre son temps. A trouver chez La Trésorerie
  • 5 Décembre Un plumier en liège des landes fabriqué artisanalement à Paris pour La Petite Papeterie Française

Laurence Le Constant, artiste et plumassière

C’est grâce à Philipe Atienza, avec lequel elle a collaboré à la réalisation de souliers fantastiques pour la maison Massaro, que nous avons fait la connaissance d’une alchimiste. Laurence Le Constant ne transforme pas le plomb en or, mais donne vie à l’inanimé et du poids aux plumes dont elle pare ses chimères.

Elle a commencé sa carrière en exerçant des métiers fabuleux qui n’existaient que pour elle. Après des études la menant de la Sorbonne à la chambre syndicale de la couture, Laurence a rejoint les ateliers de la maison Dior ou elle a créée la fonction inédite de designer de paillettes. Patiemment elle a défini la forme de ses précieuses pépites, fait naitre des teintes surréelles en patinant et oxydant la matière. Comme dans un conte de Perrault, elle se retrouvera naturellement chargée de broder la robe couleur du temps d’une célèbre chanteuse québécoise, moderne peau d’âne.

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Les entrelacs de son parcours mêlant intimement art et artisanat vont la conduire à expérimenter toujours plus loin. Sa maitrise technique assurée des métiers de brodeuse, plumassière et styliste vont permettre à son imaginaire fécond de s’exprimer dans des sculptures intenses et fascinantes, mais aussi sur des objets de mode d’un luxe irréel. Marcher sur des plumes, mettre des ailes à ses souliers.

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La plume est sa matière créative de prédilection. Mais loin de se faire éthérée et immatérielle, la plume de Laurence Le Constant vient nous titiller dans les recoins les plus éloignés de notre inconscient. Sur des formes animales ou humaines, qu’elle a sculptées et recouvertes des feuilles arrachées à des livres anciens qu’elle a chinés, Laurence colle patiemment une à une ses plumes. Ainsi, sur la trame de l’histoire cachée de ces pages encollées aux squelettes de ses œuvres, nait une nouvelle narration.

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Laurence se fait chamane et dans une transe créative, s’absorbe dans le passage d’un message, d’un souvenir, d’un ressenti qui remonte à sa conscience. Elle est fortement inspirée par les écrits de C.G. Jung portant sur l’élargissement de la conscience grâce à l’imagination active. Le décès de sa grand-mère adorée aura été un déclencheur essentiel dans son choix d’ouvrir son champ créatif. Elle qui l’avait toujours encouragée à poursuivre ses études artistiques, se place aussi de manière très subtile au cœur d’une inspiration ou l’on sent poindre l’ombre de la mort et la lumière du renouveau.

Elle se dit fascinée par l’univers du sculpteur David Altmejd et à la découverte du travail de dissection et de reconstruction produit par l’artiste montréalais on comprend la filiation. Mais aux créatures lycanthropes de ce dernier, ou la carcasse et le poil laissent apparaître la chair meurtrie, Laurence préfère une évocation plus sereine à laquelle la perfection graphique des plumes vient conférer une esthétique hypnotique.

Avec ses objets chimériques, transcendants des matières recyclées et organiques, la plumassière et artiste Laurence Le Constant élabore un reliquaire précieux, dans lequel l’esprit s’abime et se recueille.

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Meghan Shimek, Fiber Artiste : Féminin Singulier

Meghan est libre comme l’écheveau soyeux de laine cardée qui s’anime entre ses doigts. C’est de cette liberté qu’a émergé un travail sensible, fort et sensuel, qui se démarque véritablement dans le paysage contemporain.

 Le tissage s’est imposé à Meghan Shimek comme une évidence il y a maintenant plus de trois ans après des expérimentations avec le crochet et le tricot. Sa soif de partage et de rencontres et son désir d’apprendre l’ont poussée à s’initier auprès de tisseurs et d’artistes traditionnels et contemporains. Des femmes Navajo de la réserve voisine de sa maison dans l’Arizona, elle a appris les techniques vernaculaires empreintes de tradition animiste et de cosmologie. A San Francisco elle a suivi l’enseignement de Tricia Goldberg et à son contact s’est infusé d’œuvres d’artistes notamment du Bauhaus, tels que Josef Albers.

Les tissages de Meghan racontent des histoires fortes de liens rompus et recrées, de perte et de guérison. Weaving and healing, sont des mantras qu’elle égrène tout au long de ses œuvres. Elle conte des moments de vie, une pratique qu’elle prolonge d’ailleurs dans la lecture des tarots qu’elle pratique. Saisies par les parallèles mythologiques, on évoque avec elle les Moires, ces trois sœurs faisant partie des divinités grecques, qui tissaient le destin des hommes et scandaient les transitions rythmant la vie humaine avec leurs fils.

Pour Meghan d’ailleurs le tissage reste principalement une affaire de femmes. Pas par rejet du masculin, mais par le lien fort qui se crée dans cette sororité, issue de la longue tradition féministe du Fiber Art.

 Tout au long de son œuvre, Meghan raconte une histoire de femme, la sienne. Elle aime travailler sur l’inconfort du corps et des sentiments. Créer dans un mouvement quasi chorégraphique. Le tissage comme voyage, comme une errance qui retranscrit, avec ses changements soudains de matière, de couleurs, la cassure, la fin d’un lien que l’on pensait éternel, l’insécurité. Soudain il s’offre comme un cocon protecteur, un havre ou se reconstruire.

C’est Rove, la collaboration pour une galerie de San Francisco avec l’artiste Babette DeLafayette, qui a permis à Meghan d’exprimer pleinement dans son art ses sentiments profonds autour de la disparition de son père et de la fin de l’union avec l’homme qu’elle aimait, dans des pièces aux volumes gigantesques et aux liens tressés qui s’entremêlent.

Un acte transformatif perceptible dans ses immenses tissages dont les ondes pulsatiles nous envoutent et dont la fibre moelleuse nous invite à nous lover.

Edito#1 Tous artisans

 

Fabriquer de ses mains. Laisser libre cours à sa créativité. Apprendre pas à pas, s’initier avec d’autres, partager des savoir-faire et renouer un échange et un dialogue perdus.
Rentrer dans un état quasi méditatif en se laissant porter par la répétition des gestes et la lenteur nécessaire. Voir la matière s’animer, prendre vie sous ses doigts et l’objet émerger.

Une envie de devenir des fabricants, des « makers », saisit un nombre croissant d’entre nous qui nous questionnons sur le sens de notre travail et notre rapport aux objets.
Un grand mouvement est en marche qui d’ateliers en fab labs, réunit des individus persuadés que l’avenir est dans ce changement de perspective personnelle et collective; qu’il faut reprendre en mains la production d’objets, sortir de l’ère industrielle, partager les savoir-faire et mettre en commun nos expériences et nos découvertes, revenir à un rapport de personne à personne et être conscients de l’empreinte que nous laissons.

Les femmes et les hommes que nous avons rencontrés ce mois ci ont pour la plupart fait le choix de laisser derrière eux une vie professionnelle en col blanc pour s’initier à des savoir-faire artisanaux et devenir ce qu’ils rêvaient d’être.
Nous espérons que leurs histoires et leurs créations vous inspireront.
Bonne lecture,

The Artisans

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Fabrique à Rêves

Travail de ciselure sur métal délicat d’Alice Hubert pour la première création originale de sa collection Yumé.

Un collier réalisé au bénéfice de l’association Ninoo, qui sera ensuite émaillé.

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Edito #0

Bienvenue chez The Artisans. Magazine, recueil de rencontres, journal de bord, carnet de route, collection de moments et de courants, The Artisans est un peu tout cela à la fois.

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Nous avons choisi de documenter de façon sensible le renouveau de l’artisanat. Brouillant volontairement les frontières artificielles érigées entre Art et Artisanat, nous avons souhaité présenter des portraits de femmes et d’hommes mettant en œuvre des savoirs-faire séculaires de façon résolument moderne.

Nous nous attachons à décrire leur parcours de vie aussi bien que leur parcours créatif, tant ces artisans d’un nouveau genre, souvent venus à l’artisanat par des chemins de traverse, savent faire dialoguer entre elles toutes les facettes de leurs personnalités.

Nous nous sentons proches de cette envie de donner du sens à notre travail et de faire cohabiter l’esprit et la matière pour produire du beau et de l’utile. Nous nous inscrivons dans cette volonté de consommer des objets de façon plus réfléchie, en s’attachant à leur histoire et à la beauté qu’ils nous offrent. Ce mouvement nous semble être un véritable creuset créatif propre à révéler des talents inédits.

C’est ce bouillonnement qui nous inspire et que nous souhaitons partager avec vous, dans ces miscellanées de l’art façonnier. Plus encore, nous vous inviterons régulièrement à assister à des rencontres et à vous initier grâce à des ateliers et master classes.

Retrouvez nous chaque mardi pour de nouveaux articles et abonnez vous à notre newsletter pour nous suivre. Nous vous souhaitons une belle lecture.

Julie Berranger et Hélène Borderie

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Objet du désir : La pochette Good Manners & Alice Hubert

Quand LE spécialiste des sacs et accessoires masculins, s’allie avec LA créatrice de bijoux la plus audacieuse du moment, cela donne une pochette intemporelle et très personnelle.

Réalisée à Paris dans l’atelier de Good Manners, cette pochette en cuir gras est cousue à la main d’un fil de lin bleu. Elle est ensuite ornée d’une plaque en laiton gravée par Alice Hubert qui pourra être porteuse d’un message personnel. Son grand format plat permet d’y glisser un Ipad et de la glisser dans un sac ou de l’arborer seule.