Archives du mot-clé Fiber Art

Chiharu Shiota, where are we going?

Les installations réalisées par Chiharu Shiota pour le Bon Marché vous laissent oscillant entre deux impressions. D’un côté flottant en apesanteur sur de frêles esquifs à peine esquissés, en suspension dans les airs et de l’autre pris dans la toile, retenu par une invisible arachnide, en proie à une vague angoisse.

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L’artiste native d’Osaka tisse un fin fil de laine écru en un geste précis et régulier. Elle occupe l’espace, dessinant des droites et des lignes brisées, dont la géométrie parfaite et la densité créent à la fois une impression de légèreté et un sentiment d’oppression. Elle prépare à peine en atelier ses réalisations, on en veut pour preuve ces quelques maquettes, seules traces des épreuves réalisées par l’artiste, avant de se lancer dans l’immense espace laissé libre sous la nef du grand magasin et dans se vitrines.

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Elle induit de façon très subtile un questionnement sur nos destinations et nos destinées. Où nous mène ce fil de la vie ? Le lieu d’arrivée est elle si important ? N’est-ce pas le voyage qui en fait tout l’intérêt ? Un questionnement intense qu’il est intéressant de voir posé dans un lieu dédié au plaisir et à la consommation. Une façon subtile pour l’artiste de faire rentrer l’art dans des préoccupations plus prosaïques et dans la vie quotidienne de ces visiteurs.

L’exposition a lieu jusqu’au 18 Février. Des visites commentées sont proposées tous les samedis du 14 Janvier au 18 Février à 10h et 11h. Réservations au 01 44 39 81 81. Des ateliers gratuits sont proposés aux enfants de 6 à 11 ans tous les samedi de 14 à 16h, sur réservation au même numéro.

Chiharu Shiota / Where are we going ?

Le Bon Marché

24, Rue de Sèvres 75007 Paris

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Edito #2 Fil Conducteur

Le 10 Novembre dernier nous avons présenté dans le cadre exceptionnel de La Villa Rose à Paris la première collaboration produite par The Artisans.

Elle a réuni l’artiste textile Meghan Shimek et la designer textile Anaïs Guery.

Un dialogue s’est établi entre les deux créatrices, un partage entre leurs univers artistiques guidé par les savoir-faire artisanaux qu’elles ont développés dans leur pratique; le tissage pour Meghan, la teinture à l’indigo végétal pour Anaïs, qui leur ont permis de créer un langage commun. Les savoir-faire comme fil conducteur, trame expressive d’une créativité orientée autour de la fibre. Six œuvres individuelles sont nées.

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Anaïs, habituée dans son travail de designer textile à travailler un fil transformé par le tissage ou le tricot, a expérimenté sur la matière brute des brins de laine cardée utilisée par Meghan. Inspirée par l’aspect vierge et duveteux du fil, elle a souhaité conserver le gonflant de la fibre dans le processus de teinture en lui imposant un minimum de manipulations.

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Travaillant autour des propriétés hydrophiles des nappes de laine cardée, elle a effleuré la matière avec son indigo, laissant la laine s’imprégner par capillarité, créant par les bains répétés des effets ombrés et dégradés. A d’autres moments elle a souhaité terminer les tissages de Meghan par une matière plus dense, en comprimant les fils et en les saturant de pigment. L’indigo devient palpable, il acquiert une nouvelle profondeur.

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Meghan s’est laissée porter par la texture et les reliefs si particuliers crées par les teintures d’Anaïs. Profitant des grands volumes de l’atelier et entourée par les créations d’Anaïs, elle a tissé un premier trio de pièces monumentales. L’indigo s’y exprime en enchevêtrements mêlants l’écru au bleu profond, rappelants les motifs dessinés par le sergé de la toile de Nîmes. Sur la seconde œuvre il se groupe en tâches puis va jusqu’à s’effacer totalement au profit de la fibre nue sur la troisième.

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S’inspirant des éléments décoratifs néo-classiques qu’elle observait dans Paris, Meghan a tressé les fils d’Anaïs en un lustre, imbriqué de lianes bleutées. Un clin d’œil à cette pièce ornementale bourgeoise par excellence, transformée en un mobile brut et organique.

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Photo Cedric Canezza

Nous remercions chaleureusement Anaïs Guery et Meghan Shimek de s’être pliées aux contraintes de cet exercice difficile, avec autant d’enthousiasme, de générosité et de talent. Nous remercions aussi La Villa Rose d’avoir si bien accueilli cette première collaboration.

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Les œuvres collaboratives sont visibles sur rendez-vous à Paris. Leurs prix peuvent vous être communiqués sur simple demande à hello@theartisans.fr.14993576_10109228814513554_868431354386581216_n

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Lou Perdigaou : Le macramé graphique de Justine Laurent

Si ce n’était le crincrin lancinant des cigales sous les pins parasols gigantesques qui abritent les maisons de leur ombre bienveillante, on croirait la Californie. La lumière crue et zénithale, brouillée par l’humidité de l’air qui laisse présager de la chaude journée à venir, l’air saturé de sel, les échos de la plage voisine, la petite maison claire au bout de l’étroite allée sableuse. Au bout du jardin un jeune homme range sa planche de kitesurf et Justine blonde et souriante sert un café fumant. La belle vie.

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Photo Clément Minair

C’est dans ce cadre inspirant que Justine Laurent réalise ses créations en macramé pour sa toute jeune marque, Lou Perdigaou, la perdrix, en provençal. S’éloignant de l’image folk que l’on peut avoir sur cette pratique, Justine y applique une rigueur quasi mathématique intrigante et séduisante. C’est en parlant avec elle de ce qui l’a amenée au macramé que l’on entrevoit des réponses. Jeune ingénieure maritime, Justine a choisi d’explorer d’autres pistes créatives que celles que sa vocation lui apportait.

Dans le macramé elle a vu une occasion de partir d’un fil, qu’elle choisit toujours blanc et de se laisser porter par l’inspiration offerte par les nœuds marins. Une déclinaison de combinaisons de nœuds sur le fil plat tressé qui dessinent des volutes, des tresses, des cibles et se décline en suspensions, en tentures murales. On la regarde répéter son geste avec régularité et précision, brassant de longues nappes de fil emmêlées, tirant d’un apparent chaos des motifs ayant la complexité de fractales.

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Photo Clément Minair

Justine a la tête pleine de projets, elle veut pousser plus loin son travail sur le bois et la céramique en association avec le macramé. Elle a d’ailleurs récemment réalisé des objets en collaboration avec la designer textile spécialiste du tissage, Julie Robert. Jouant de l’aspect mat et rugueux du grès, elles ont associé les fils de coton de Justine et les laines duveteuses de Julie, créant des suspensoirs délicats. Le bois blond et brut s’est transformé en d’élégantes étagères flottantes. Toutes ces créations appellent la cascade de végétal, pour créer de petites jungles suspendues peuplées de succulents et cactées.

Le parcours de Justine ne fait que commencer et l’on a envie de suivre ses expérimentations avec la matière. Son énergie et la clarté de sa pensée dessinent un chemin qui la portera loin.

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Fiber Art : Le fil comme métaphore

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Par nos rencontres avec des artisans et artistes textiles, tels que Meghan Shimek, nous avons découvert une variété de pratiques autour du fil. Nous avons souhaité ici vous livrer notre approche d’un art foisonnant depuis la seconde moitié du XXème siècle, à la frontière de l’art et de l’artisanat.

En paraphrasant le titre de la fameuse exposition de l’artiste Sheila Hicks, Weaving as methaphor, on définit d’entrée de jeu le potentiel d’expressivité symbolique de l’art textile.

Dépassant leurs origines utilitaires et sortant du cercle familial, les travaux d’aiguilles portent un message. Platon, commentant les fêtes des Panathénées, pendant lesquelles le péplos brodé par des jeunes filles est porté en procession pour vêtir la statue de la déesse Athéna, souligne le caractère hautement symbolique de ce tissage, métaphore de la cohésion sociale athénienne et du politique.

Tout dans cet art du tissage semble en effet représenter la vie de la cité. Depuis le cardage, qui sépare les fils, créant des unités individuelles, comme celles qui composent la société, jusqu’à leur entrelacement, nécessaire union des différences qui créeront le lien social.

Très tôt, le textile, notamment la tapisserie devient terrain d’expression narrative, y compris dans la sphère du foyer. Très tôt aussi, il va dépasser ce cadre et exprimer la personnalité, les émotions et aspirations de sa créatrice. L’art textile demeure en effet un art essentiellement féminin et hautement féministe.

Les techniques, qu’elles soient de broderie, de tricot, de crochet, de patchwork, de tissage, transmises de femmes en femmes, souvent dans un contexte familial, vont être détournées peu à peu par des artistes féminines, qui y trouvent un terrain d’expression plastique malléable et accessible. La charge symbolique féministe, mais aussi celle liée au fil, à ses entrelacements, à ses tensions et à ses croisements, fournit là un matériau riche pour constituer un récit.

Tissage

Le tissage occupe une place particulière dans l’art textile. Par son entremêlement de fils de chaine et de trame, association du vertical et de l’horizontal, de ce qui sous tend et de ce qui soutient, du noué et du libre, du visible et du caché, le tissage possède une capacité de projection symbolique importante. La mise en tension de deux fils, celui de l’inconscient, du rêvé et celui du parlé, de l’histoire contée.

La multiplicité des techniques, permettant la figuration la plus fine, aussi bien que l’abstraction, la mise en volume comme l’aplat et la palette des matériaux utilisables, rendent cette technique à la plasticité extrême très prisée.

Dès les débuts du mouvement Bauhaus, le tissage s’affirme comme un medium d’expression artistique à part entière, notamment grâce à l’influence de l’artiste et tisserande Gunta Stölzl. Elle enseignera de longues années à l’atelier de tissage fondé par le groupe.

Anni Albers, artiste éminente du mouvement, construit une œuvre textile composée de pièces immenses et de pièces décoratives plus modestes, utilisant des matériaux naturels mais aussi industriels et synthétiques. Le lin, la laine, le crin, les fils métalliques et la cellophane, y dessinent en des formes géométriques la lumière du jour changeante, les méandres de la pensée et du langage, et la topographie des villes.

Le travail sculptural de Lenore Tawney, offrant, grâce notamment à sa technique de tissage à chaine ouverte, une approche unique des volumes et des jeux de transparences, va ouvrir la voie à des artistes utilisant tous les avantages de la plasticité du fil, tels que Sheila Hicks.

Sheila Hicks occupe une place particulière dans le fiber art. Ses entrelacs soumis à la gravité créant des images fortes, sa façon d’emplir l’espace de cascades de nœuds et de filaments pour créer de véritables sculptures et son travail sur l’architecture du lieu qu’elles occupent, en font une plasticienne du fil. Qu’il s’agisse d’énormes écheveaux aux teintes vives, de ballots et d’amas de fibres colorées ou de lianes entremêlées de cordages, le fils se donne à voir dans tous ses états.

Patchwork

Jean Ray Laury, fût une des premières artistes dans les années 60 à s’exprimer grâce à ce medium souvent associé, de façon un peu limitative, à la vie domestique des colons américains et à sa narration. Son travail mélangeant une approche classique du patchwork avec celles moins conventionnelles du collage et même de l’impression, décrit ses engagements politiques et féministes.

Des procédés repris notamment par l’artiste Tracey Emin dans ses œuvres utilisant les techniques de patchwork, telles qu’Hôtel International ou I do not expect to be a mother. Reprenant le fil narratif souvent associé à cette pratique, s’adaptant parfaitement au caractère très personnel et en même temps universel de son œuvre, elle y inclut des bribes de phrases liées à des situations vécues, provocant un effet de contraste entre la dureté des propos et la familiarité réconfortante du support.

Broderie

La broderie, associée dans l’imaginaire collectif à l’univers domestique féminin, a été portée au rang d’expression artistique par une poignée de femmes dans les années 70.

Hessie, artiste franco cubaine l’utilise en des répétitions de motifs, créant un langage complexe. Son utilisation de motifs de boucles produit un effet d’aliénation. L’artiste Milvia Maglione a elle conçu son travail d’aiguille comme des hommages à ces brodeuses du quotidien en les magnifiant dans ses ex-votos brodés de fils et de photos.

 Maille

Le travail de la maille, qu’il s’agisse de tricot ou de crochet connaît un renouveau depuis une vingtaine d’années.

La sculptrice Janet Eckelman modèle grâce à de gigantesques filets des volumes qui interagissent avec l’environnement urbain. Leur souplesse et leur douceur tranchent avec l’angularité de leur environnement architectural. Son travail sur des formes géométriques complexes, créées de façon intuitive et sur la couleur, donne naissance à des espaces de calme et de contemplation, où l’on croit voir surgir des aurores boréales textiles.

La géométrie peut d’ailleurs se faire art et utiliser le fil comme médium. La mathématicienne et artiste Daina Taimina a élevé le crochet à un nouveau stade. Elle a modélisé en crochet des plans hyperboliques, conceptualisés par la géométrie non euclidienne, mais impossibles à représenter physiquement. Portée par l’accueil unanime de la communauté scientifique, mais aussi par le plaisir qu’elle retirait de l’utilisation de cette technique transmise par ses ainées, elle a développé un travail artistique basé sur la géométrie et la représentation de plans hyperboliques symétriques.

 La maille a investi nos rues et le Yarn Bombing, graffiti textile, s’exerce comme une forme de réappropriation de l’espace urbain par des tricoteuses. L’apparition du fil ouvragé crée un effet de surprise, souvent humoristique ou parfois plus revendicatif.

Magda Sayeg, détourne les objets recouverts de leur fonction originelle. Des objets utilitaires, du mobilier urbain, des véhicules prennent soudain une dimension sculpturale de façon totalement inattendue.

Le mouvement britannique Knit The City revendique une approche plus spontanée de trublion. Ses membres se sont fixés comme objectif d’investir le terrain urbain en créant la surprise et le décalage, de créer de la vie dans les rues et de provoquer le dialogue autour de leurs détournements.

Toutes ces Pénélopes, modernes alter ego de celle qui par son travail d’aiguille a dominé son destin, racontent des histoires personnelles, engagées. Elles tissent un récit foisonnant et élèvent au rang d’art, des pratiques souvent associées au privée et au domestique. Suivez le fil.

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Meghan Shimek, Fiber Artiste : Féminin Singulier

Meghan est libre comme l’écheveau soyeux de laine cardée qui s’anime entre ses doigts. C’est de cette liberté qu’a émergé un travail sensible, fort et sensuel, qui se démarque véritablement dans le paysage contemporain.

 Le tissage s’est imposé à Meghan Shimek comme une évidence il y a maintenant plus de trois ans après des expérimentations avec le crochet et le tricot. Sa soif de partage et de rencontres et son désir d’apprendre l’ont poussée à s’initier auprès de tisseurs et d’artistes traditionnels et contemporains. Des femmes Navajo de la réserve voisine de sa maison dans l’Arizona, elle a appris les techniques vernaculaires empreintes de tradition animiste et de cosmologie. A San Francisco elle a suivi l’enseignement de Tricia Goldberg et à son contact s’est infusé d’œuvres d’artistes notamment du Bauhaus, tels que Josef Albers.

Les tissages de Meghan racontent des histoires fortes de liens rompus et recrées, de perte et de guérison. Weaving and healing, sont des mantras qu’elle égrène tout au long de ses œuvres. Elle conte des moments de vie, une pratique qu’elle prolonge d’ailleurs dans la lecture des tarots qu’elle pratique. Saisies par les parallèles mythologiques, on évoque avec elle les Moires, ces trois sœurs faisant partie des divinités grecques, qui tissaient le destin des hommes et scandaient les transitions rythmant la vie humaine avec leurs fils.

Pour Meghan d’ailleurs le tissage reste principalement une affaire de femmes. Pas par rejet du masculin, mais par le lien fort qui se crée dans cette sororité, issue de la longue tradition féministe du Fiber Art.

 Tout au long de son œuvre, Meghan raconte une histoire de femme, la sienne. Elle aime travailler sur l’inconfort du corps et des sentiments. Créer dans un mouvement quasi chorégraphique. Le tissage comme voyage, comme une errance qui retranscrit, avec ses changements soudains de matière, de couleurs, la cassure, la fin d’un lien que l’on pensait éternel, l’insécurité. Soudain il s’offre comme un cocon protecteur, un havre ou se reconstruire.

C’est Rove, la collaboration pour une galerie de San Francisco avec l’artiste Babette DeLafayette, qui a permis à Meghan d’exprimer pleinement dans son art ses sentiments profonds autour de la disparition de son père et de la fin de l’union avec l’homme qu’elle aimait, dans des pièces aux volumes gigantesques et aux liens tressés qui s’entremêlent.

Un acte transformatif perceptible dans ses immenses tissages dont les ondes pulsatiles nous envoutent et dont la fibre moelleuse nous invite à nous lover.