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Les chapeaux oniriques de Sofya Samareva

On la voit passer et disparaître dans les jardins depuis deux jours.

Longue liane à l’austère robe colonne noire, coiffée d’un couvre chef rouge évoquant autant un objet familier que le végétal. Sofya Samareva promène sa silhouette hiératique dans la Villa Noailles. Something unreal in the real world, pour paraphraser le titre de la collection d’accessoires qu’elle présente au 32ème Festival International de la Mode et de la Photographie de Hyères.

Intriguées, nous la suivons. Le sourcil levé et l’œil scrutateur, elle accepte de se plier à l’exercice de l’entretien et de répondre à nos questions autour d’un café.

Depuis 2014 elle explore au travers du chapeau, toujours en feutre de poils de lapin moulé à la vapeur, des formes familières déclinées dans des couleurs primaires saturées. Une évocation du quotidien qui fait irruption de façon incongrue et se dérobe. Gâteau en jelly ou colonne dorique grecque ? Cactus ou presse agrume ? Maison ou chapeau quatre bosses de scout ? Dans un va et vient surréaliste, les associations d’idées se succèdent et les objets s’emboitant sur les crânes viennent dynamiser la silhouette.

Sofia Samareva a étudié l’Art à Prague et ses influences viennent plus de l’art que de la mode ou du design. Elle cite les « peintures – objets » et les sculptures d’Agostino Bonalumi et le travail de l’artiste graveur française Annie Bocel, notamment ses œuvres réalisées par la technique de gaufrage. Des approches sensibles ou la matière vient épouser des formes imaginaires et modeler le vide. Une absence de l’objet, sur laquelle le spectateur projette son imaginaire.

Pour réaliser ses créations oniriques et attachantes, Sofya Samareva met en œuvre les techniques traditionnelles en chapellerie de moulage sur des formes en bois et de pressage à la vapeur des cloches en feutre, dans une combinaison audacieuse et novatrice. A découvrir jusqu’au 28 Mai à la Villa Noailles.

Hyères : 32ème festival de la mode et de la photo sous le signe de l’accessoire

Le Festival International de la Mode et de la Photographie de Hyères propose pour sa 32ème édition un nouveau prix, celui de l’accessoire.Tout l’esprit du festival est dans cette sélection de jeunes gens aux parcours variés et éclectiques, aux styles très différents et tous radicaux.

Cette initiative perpétue la vocation de ce lieu hors normes qu’est la Villa Noailles, édifié par les grands mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles, qui y ont accueilli la fine fleur de l’avant garde artistique de l’entre deux guerres. Cet endroit unique, conçu par Mallet Stevens a été ressuscité sous l’impulsion de son directeur, Jean-Pierre Blanc et est devenu une institution audacieuse et ouverte à tous qui découvre et valorise de nouvelles générations de créateurs dans la mode, la photo et le design.

Porté depuis 32 ans par Jean-Pierre Blanc, qui l’a fait naitre, le Festival de Mode et de Photographie de Hyères met en lumière des jeunes qui repoussent les limites, font des propositions radicalement novatrices et ont souvent un parcours hors norme qui les ferait passer sous les radars de têtes chercheuse d’une industrie pourtant avide de se renouveler. La force de ce festival réside aussi dans sa capacité à réunir au sein des ses jurys et de ses partenaires, des acteurs incontournables du secteur.

Depuis sa création, le festival a récompensé, en mode le travail de Viktor & Rolf, Gaspard Yurkievich, Felipe Oliveira Baptista, Anthony Vaccarello, Julien Dossena, Yiqing Yin, Léa Peckre, Satu Maaranen, parmi tant d’autres. En photographie parmi les lauréats les plus prestigieux on trouve les noms de Solve Sundsbo, Vava Ribeiro, Erwan Frotin, Joël Tettamanti, Charles Fréger, Grégoire Alexandre, Camille Vivier, Franco Musso & Luciana Val, Thomas Mailaender. Les partenaires depuis Chanel jusqu’à LVMH en passant par Swarowski ou Kering, trouvent dans cette sélection pointue, les jeunes pousses qui pourront revivifier leurs maisons.

Cette décision de décerner désormais un prix pour la création d’accessoires, un secteur ou l’offre est devenue essentielle pour les maisons de luxe, tirées par ce moteur désormais plus efficace que celui du prêt à porter, sonne comme un appel au renouveau et à un regain de créativité.

Le chausseur Pierre Hardy préside ce jury, qui a sélectionné dix profils de jeunes créateurs proposant des bijoux, de la maroquinerie et des sacs, des souliers, des chapeaux et des lunettes. Venus de la mode, de la joaillerie, du design, ils cherchent à repousser les limites de leurs envies créatives en combinant techniques artisanales traditionnelles et techniques d’avant garde. Des propositions très personnelles et conceptuelles, terrain de recherche, s’articulent à des développements plus commerciaux. Qu’il s’agisse par exemple de mouler des chapeaux en feutre sculpturaux pour Sofya Samareva, de créer des placages de bois uniques pour Thibaut Rodde et Sandrine Pachecus, de combiner des cristaux Swarowski à du polyamide dans des manchettes graphiques pour Christophe Lhote, de modeler des pièces de joaillerie pour Emma Montague. Les créateurs sélectionnés sont allés à la recherche de partenaires artisans pour réaliser leurs pièces ou ont apporté un regard neuf sur une technique traditionnelle. C’est ce qui nous a intéressées dans cette sélection. Nous vous proposerons dans les semaines à venir un focus sur le travail de sept des finalistes.

Dans les carnets du designer Antoine Boudin

Couchés à l’encre et au crayon de couleur dans des cahiers, invariablement de la marque Moleskine, les croquis d’Antoine Boudin racontent l’histoire de sa recherche. Il a bien voulu partager avec nous ses dessins détaillés et précis, qui présentent une première intention toujours très aboutie.

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Suspension – Dessin Antoine Boudin
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Chaise en canne de Provence – Dessin Antoine Boudin
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Chaise – Dessin Antoine Boudin
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Fauteuil – Dessin Antoine Boudin

 

 

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Antoine Boudin, designer/trimardeur: créer son propre langage

C’est sur les hauteurs de Hyères, au cœur du Parc Saint Bernard, dans l’ancienne maison de jardinier de Charles et Marie-Laure de Noailles, que nous rencontrons Antoine Boudin. Un lieu de travail qui sied parfaitement au designer, lauréat en 2009 du grand prix du jury décerné par la Villa Noailles pour son festival Design Parade. Un cadre parfait, abrité par une épaisse végétation qui surplombe la ville et offre une vue à couper le souffle sur les marais salants et la plage de l’Almanarre.

ab11Une forme de retour aux sources, pour ce provençal, qui après des études à Paris et un diplôme de Designer Industriel de l’Ecole Cantonale d’Art de Lausanne, a poursuivi une carrière auprès d’Alexander Taylor à Londres et de François Azambourg, à Paris. Antoine Boudin a ressenti la nécessité d’élaborer son propre vocabulaire, de créer son langage personnel, un peu comme ces trimardeurs, auxquels il s’identifie volontiers, qui communiquaient dans une langue connue d’eux seuls. Ses créations égrènent des noms provençaux : Envela, Lunado, Eliou

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La Provence est le territoire familier dans lequel Antoine Boudin ancre son travail. Il en explore pas à pas les matériaux et savoir faire artisanaux pour créer sa propre cartographie. Elle passe par une exploration scrupuleuse de la nature et des matières premières qu’elle peut lui fournir.

La canne de Provence tout d’abord. Cette graminée géante qui rythme les paysages marécageux et est utilisée dans le Var pour fabriquer les anches des instruments à vent. Elle lui inspire des luminaires délicats et aériens. C’est Eliou, une suspension conçue comme un mobile, sorte de flambeau flottant épuré à l’extrême, exposée au Palais de Tokyo. Une série réalisée pour Petit h, les objets ludiques Pitchoun h et la lampe de table Galo en canne et cuir.

Le bois d’agave, présent dans les jardins bordant son atelier lui donne l’idée d’une chaise, adoptant la courbure naturelle du bois, Envela ainsi que d’une lampe, Lunado.

ab6Des boules de pétanque cloutées traditionnelles en Provence, il s’inspire pour créer le plateau de la table Petanco.

Reste le liège, qu’il a exploré brièvement pour créer une scénographie sur Design Parade il y a quelques années.

Antoine lance comme une boutade qu’il ne passera à autre chose que lorsqu’il aura épuisé le potentiel de sa région. Il nous montre une planche de terre encore fraiche, façonnée dans un atelier de Salernes avec lequel il compte travailler sur un projet d’hôtel à l’Ayguade.

ab8Pour lui, se lancer à la rencontre de ces matériaux et des artisans qui les façonnent semble faciliter le processus créatif. Il aime se heurter aux contraintes techniques qui l’obligent à penser autrement et parle même de la « magie du cahier des charges ». On sent bien qu’il aime sortir de sa zone de confort pour libérer le processus, en toute humilité.

Sa passion pour la voile et la glisse, pour des objets flirtant avec l’architecture, qui sont éprouvés par les éléments, se retrouve dans cette exigence. Il nous dévoile la réalisation dont il nous dit être le plus fier. Quieu Bagna II, Un dinghy qui utilise pleinement le potentiel technique de la canne qui compose sa coque. Elle assure une flottabilité exceptionnelle au navire pour un poids extrêmement réduit. Une victoire de la mauvaise herbe, sur les matériaux composites modernes.

L’utilisateur final reste en permanence sa préoccupation principale. Une éthique de travail qu’il souhaite transmettre aux étudiants qu’il forme à l’École Supérieure d’Art de Toulon Provence Méditerranée. Les rendre autonomes, faire émerger des passions et pousser ses étudiants à créer leur propre langage, sont ce qui le motive.

Entrainer d’autres « trimardeurs », sur le chemin de vie, parfois tortueux qu’est celui de la création. Aller à la rencontre des autres et continuer ce voyage initiatique, en Provence ou ailleurs. Heureux qui comme Ulysse….

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