Nos expérimentations avec l’indigo ici et là nous avaient fait graviter autour d’Aboubakar Fofana. Son travail était devenu pour nous incontournable et son compte Instagram nous offrait chaque jour des démonstrations de plus en plus éclatantes de son savoir-faire subtil. Il restait cependant insaisissable, happé sans doute par les workshops qu’il dispensait d’Australie à la Californie, sans relâche.
Il en devenait quasi mythique et nous évoquions régulièrement son nom dans nos conversations enflammées autour de l’indigo, quitte à passer pour de véritables groupies. Nous nous devions d’arriver à rencontrer celui qui sillonnait le monde entier pour transmettre son art.
Rendez-vous fût finalement pris dans les sous sol du Marché Noir à Paris ou il faisait escale pour la présentation de l’exposition commune avec l’artisan teinturier japonais Tatz Miki et trois jours d’un atelier intense.
Dans une atmosphère sereine et studieuse, vêtu de sa tenue de travail, crée par ses soins et déclinant toutes les teintes de l’indigo, chaussé de Jika Tabi traditionnelles en cuir teinté de bleu, Aboubakar Fofana préside la séance au milieu de cuves au contenu précieux.
Nous découvrons grâce à lui une nouvelle approche, plus lente et plus recueillie que celles que nous avions déjà pu expérimenter autour de l’indigo. Les cuves qu’il a préparées quelques jours avant sont prêtes. Une mousse bleutée légère et dense à leur surface indique que la magie de l’indigo pourra enfin avoir lieu.
Il trempe avec douceur les bandes de tissu et manipule lentement l’étoffe sous l’eau opaque entre ses doigts pour imprégner le textile. Tout se passe de façon cachée, à l’abri de la lumière et de l’air. Cette première bande est immédiatement plongée dans l’eau claire ; une offrande que nous faisons à la déesse de l’eau, pour qu’elle nous accorde un travail sous les meilleurs auspices. Il en résulte un bleu à peine présent, un souffle couleur de ciel voilé.
Aboubakar Fofana travaille une couleur vivante, née dans les brumes et la mousse d’une cuve aux reflets sombres et profonds. Il sait à merveille véhiculer la tradition indigotière séculaire d’Afrique de l’ouest, auprès d’un public composé de néophytes ou d’étudiants plus expérimentés, tous en quête de ce bleu mythique si difficile à saisir.
Sa maitrise de cet art délicat est une facette essentielle de son travail qui comprend notamment la calligraphie, par l’entremise de laquelle il s’est passionné pour les pigments naturels. Son désir de porter la culture liée à l’indigo végétal, mis à mal par l’indigo synthétique depuis le XIXème, l’a conduit non seulement au partage de ses savoir-faire par le biais d’ateliers, mais aussi à la création d’une ferme située au Mali. Une plantation indigotière y est née car Aboubakar souhaitait relancer une filière de production d’indigo végétal écologique dans son pays natal. Il y associe du coton biologique et crée un atelier qui réunit des artisans autour de la teinture et du tissage.
Aboubakar travaille la couleur et la matière, en véritable plasticien. Cherchant inlassablement son inspiration dans la nature, réalisant des objets uniques ou la teinte se pose parfois en un fil à fil subtil, qui n’est pas sans rappeler les pleins et les déliés sa calligraphie, il écrit une partition moderne qui n’appartient qu’à lui.