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Pascal Gautrand fondateur de Made in Town

Pascal Gautrand, fondateur de Made in Town : Revitaliser la création locale

Pascal Gautrand est le fervent défenseur d’une culture de la fabrication textile ou industrie et artisanat se répondent. Dans un système de mode interactif qui dialogue et se nourrit de la curiosité du consommateur, il cherche à offrir un panorama des savoir-faire des meilleurs acteurs de la filière mode et textile pour permettre la mise en place de synergies et la création de partenariats durables. Rencontre avec un « entremetteur » de talents.

Le parcours de Pascal Gautrand, riche et éclectique, l’a mené de la création textile et graphique au conseil en stratégie et en communication.

Diplômé de l’ESAAT Roubaix et de l’Institut Français de la Mode, il a été le premier designer de mode a devenir résident à la Villa Médicis à Rome. Il poursuit depuis ses débuts une réflexion active sur le système de la mode et la place de l’individuation au travers du vêtement au cœur d’un système de production en série. C’est ce parcours qui l’a mené à rechercher des acteurs d’excellence dans la filière mode capables de production sérielle et pas uniquement de réalisations artisanales en pièces uniques. Dans cette recherche, la question de la fabrication locale est devenue centrale à son approche.

Pascal Gautrand a crée un espace parisien dans le quartier du Vertbois, doublé d’une plateforme de conseil et d’un magazine digital, dédiés aux savoir-faire dans les domaines de la mode, du textile et du design, nommé Made In Town. Il y propose une programmation d’ateliers, des expositions, des projections, des rencontres, et une sélection de produits issus des métiers de l’artisanat et de l’industrie locale.

Ainsi qu’il le définit, « Made in Town est une plateforme de conseil et de production spécialisée dans la valorisation des savoir-faire et des fabrications locales. Elle participe à l’amélioration du lien entre public et producteurs en mettant en valeur l’artisanat et l’industrie à la lumière de notions telles que le territoire, le patrimoine, l’excellence et la singularité. »

Une démarche qui trouve son prolongement dans deux évènements, réservés aux professionnels, sur lesquels il intervient pour le compte de Première Vision. Tout d’abord le salon Made In France, au Carreau du Temple, qui regroupe les acteurs de la filière mode française, pour lequel il réalise un sourcing, soumis ensuite au comité, ainsi que la Direction Artistique. Un cycle de conférences autour de la fabrication française mis en œuvre par l’Institut Français de la mode rassemble tous les intervenants de la filière pour permettre des échanges sur les meilleures pratiques, complète le parcours.

Au sein du Salon Première Vision, il établit le sourcing et la stratégie, du parcours Maison d’Exceptions. Il part à la recherche de fabricants et artisans venus du monde entier, dont les savoir-faire traditionnel ou l’utilisation de technologies de pointe, en feront des interlocuteurs et partenaires de choix potentiels pour les créateurs visitant le salon.

En 2015 Pascal Gautrand a mis sur pieds avec Made In Town une exposition/rencontres à Castres autour des savoir-faire des artisans et fabricants de la Montagne Noire. Un événement destiné à faire connaître au public la grande variété de  savoir-faire authentiques et novateurs de cette région ou le travail de la laine fût longtemps prédominant. Un regroupement et des échanges riches autour de créateurs et industriels dans le domaine de la laine et du textile, bien sur, mais aussi, du bois, du cuir, de la céramique et de la pierre.

S’inspirant de cette expérience fructueuse, ainsi que des tables rondes mises en œuvre par l’IFM pour Made in France et pour répondre à un besoin d’établir du lien entre des acteurs locaux, sur un nouveau territoire plus vaste (dessiné par le découpage régional issu de la loi régions de 2015), Made in Town a crée en partenariat avec Mode Made in France et avec le soutien de la région Occitanie, le programme Made in Occitanie en 2017.

L’objectif est de créer du lien et de faire se rencontrer et échanger les acteurs locaux autour de thématiques communes (le bois, le textile, les cosmétiques…) mais aussi de thématiques transversales, telles que la communication liées à la notion de territoire, ou les problématiques de distribution des produits issus de cette fabrication locale, d’exportation et de stratégie marketing spécifique. Une démarche tournée aussi vers un public plus attentif et curieux des méthodes de fabrication, des matériaux et de l’authenticité des produits qu’il consomme, via les ateliers et les cycles de conférence.

Pascal Gautrand met en avant le rôle politique et social que joue créateur dans ses arbitrages et choix au sein de la filière de fabrication, mais aussi l’importance que peuvent revêtir ces choix lorsqu’il s’agit de se différencier dans un paysage global fortement concurrentiel. S’orienter vers une production locale à partir de matériaux issus d’un terroir, permet non seulement une différenciation forte des produits et une adhésion importante des consommateurs en quête d’authenticité, mais aussi un maintien et une revalorisation de techniques et de main d’œuvre, au cœur d’un territoire économique.

Un engagement qui a aussi du sens en milieu urbain. A ce titre Made in Town contribue à montrer les coulisses de la fabrication locale urbaine, mais aussi à faire découvrir aux urbains de nouveaux territoires de fabrication. Ainsi, au cœur même du quartier ou la galerie est établie, Made in Town a co-organisé avec Slow made, en parallèle de l’événement « Futurs en Transmission » et en partenariat avec l’Institut National des Métiers d’Art et le Musée des Arts et Métiers, avec le soutien de Vertbois, Nazareth Market, Concept Streets et Smadja Holdings, le projet Triangle Arts et Métiers. Dix espaces seront ouverts à la création et au savoir-faire à l’occasion de l’édition 2018 des Journées Européennes des Métiers d’Art (JEMA) du 3 au 8 avril 2018. Une occasion de découvrir au cœur d’un même quartier, les créations uniques de créateurs de design et de mode. Les candidatures soumises à un jury professionnel, ont été retenues sur des critères de qualité, d’authenticité et d’inventivité. Une occasion de re-découvrir ce quartier en transition depuis plusieurs années et qui se positionne désormais comme un véritable « quartier des savoir-faire »

 

MADE IN TOWN

58, Rue du Vertbois

75003 Paris

 

TRIANGLE ARTS ET METIERS

Du 3 au 8 Avril 2018
rues Vertbois, Volta et Notre-Dame de Nazareth Paris 3ème

Horaires d’ouverture : de 11h à 19h
Nocturnes les 4 et 6 avril jusqu’à 22h

From Rags to Riches

L’industrie textile, grande consommatrice de matières premières, produisant 80 milliards de pièces chaque année est aussi une championne du gaspillage.
Au delà des tonnes de vêtements que nous destinons à plus ou moins court terme à la poubelle (12 Kilos jetés par an et par personne en France), les fabricants se débarrassent de quantités phénoménales de chutes et de métrages intacts, qui terminent la plupart du temps incinérés. (15% de la matière textile utilisée pour la production est jetée)
Interpellée par ces aberrations, la créatrice Stacey Cotter Manière a eu envie de proposer un vestiaire élégant et totalement mixte, composé de vêtements inspirés de l’utilitaire, conçus exclusivement avec les chutes provenant des meilleurs façonniers pour hommes.
(Re)vision Society propose une approche créative de valorisation ultra exigeante et très haut de gamme, ou chaque pièce fait l’objet d’une fabrication main emplie de détails sobres et raffinés. Interview.

The Artisans : Comment est née cette envie de s’impliquer pleinement dans un projet dont l’essence serait la revalorisation de textiles de seconde main et le développement de produits haut de gamme issus du recyclage ?

Stacey Cotter-Manière : Le déclic a eu lieu en Inde, il y a quelques années, lorsque j’ai vu des animaux se nourrir de déchets en plastique dans la rue. Une vision affreuse dont je vous passerai les détails sordides.

Nous sommes une espèce qui gaspille énormément. On ne se rend pas compte. Ici, on cache les déchets donc on ne s’aperçoit pas de tout ce qu’on jette mais c’est abominable. Et on ne sait pas quoi en faire non plus.

J’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice, en toute humilité et j’ai crée (Re)vision Society où chaque aspect de la production est pensé pour jeter le moins possible.

 

T.A. : Comment intégrez vous ces problématiques dans la conception de vos créations ?

S.C.M. : Chaque étape a est mille fois réfléchie.  Il est vrai que parfois il n’y a pas de solution parfaite, mais j’essaye d’explorer toutes les pistes et de trouver la meilleure à chaque fois. Mon obsession est de sauver les fins de rouleaux et les off-cuts de l’industrie textile. Je le vis vraiment comme un sauvetage. Quand on voit la qualité des tissus qui sont jetés on en a mal au cœur. J’ai vu d’énormes chutes et des fins de rouleaux de cachemires une fois… Au début je voulais vraiment que l’on voit que ces pièces avaient été créées avec de la récup pour qu’on se rende compte de ce que l’industrie jetait.

 

T.A. : Comment choisissez vous les matériaux utilisés et comment les transformez vous?

S.C.M. : j’écume les friperies militaires, et les manufactures textiles à la recherche des pièces à recycler. Les productions sont façonnées à la main en petites quantités dans un atelier à Londres, le sac crée en collaboration avec Nigel Cabourn a été lui fabriqué à Birmingham. Chaque pièce est unique car nous respectons les spécificités des matériaux : leurs petites différences de coloris, ou leurs défauts de tramages qui leur donnent un aspect d’autant pus artisanal et unique. Sur mon sac par exemple, une des lanières en cuir a un coté plus brun que l’autre. Cela n’aurait pas passé le test de qualité dans une grande maison où l’on part du principe que tous les modèles doivent être identiques, uniformes, ce qui les prive de vie.

 

T.A. : Justement parlons de la vie de ces créations. Vous les concevez afin qu’elles continuent de vieillir et de se patiner en beauté, qu’elles accompagnent l’acquéreur toute une vie en remplissant des usages multiples. Comment procédez vous?

S.C.M. : Pour créer le sac* pour lequel nous avons collaboré, Nigel Cabourn et moi même, nous nous sommes inspirés d’un sac qui avait près de 100 ans et qui était encore en parfaite condition. Nous avons réfléchi à pas mal d’aspects pour faire en sorte qu’il puisse remplir plusieurs fonctions. Il se porte comme un cabas, comme un sac à dos.  Idem pour la veste que j’ai créée. Elle est en toile de l’armée française de la deuxième guerre mondiale, en se boutonnant à un pantalon elle devient une combinaison pilote. En se boutonnant à une autre pièce de tissu, elle devient une veste trois quart ou encore un manteau long. Tout est possible.

 

T.A. : En vous affranchissant des courants de mode et en privilégiant la qualité de la conception, la versatilité et l’intemporalité dans vos créations, vous créez des produits durables, mais ne vous privez vous pas ainsi d’un moteur de croissance pour votre marque?

S.C.M. : C’est une bonne question. La question du modèle économique que je mets en place avec cette marque est une question que je me pose en permanence. En ce moment beaucoup de gens s’interrogent sur le système d’économie circulaire, qui permet une maximisation des ressources disponibles. C’est un système ou le cycle de vie du produit est allongé au maximum, grâce à sa durabilité. Lorsqu’il devient inutilisable, ce produit et recyclé et retourne dans un cycle de production, pour un autre usage, jusqu’à épuisement.

Par exemple, le recyclage du polyester est une bonne chose, il évite d’en produire de nouveau et prolonge sa vie. Cependant, les textiles de polyester relâchent dans l’eau lors des lavages des microfibres polluantes et on n’a pour le moment pas trouvé de solution à grande échelle à ce problème.

Ce qui est important pour moi, à mon niveau personnel, c’est d’explorer de nouvelles façons de créer de la valeur, au delà de l’usage physique des produits que nous créons.

Nous devons trouver une réponse au niveau sociétal à notre besoin d’équilibrer le fait de faire ce que nous estimons juste et celui de réaliser un profit suffisant pour en vivre. Plus nous serons à nous poser ces questions et à travailler sur ces nouvelles idées, plus vite nous trouverons des solutions.

*Le sac et le béret présentés dans l’article sont le  fruit de la collaboration entre (re)vision society et Nigel Cabourn, sont d’ores et déjà disponibles chez Isetan au Japon et seront disponibles à partir du 20 Octobre en édition limitée sur les sites de (re)vision society et Nigel Cabourn.