Archives du mot-clé Viaduc des Arts

Samuel Gassmann : l’Essence de la forme

Une rencontre avec Samuel Gassmann, créateur de boutons de manchettes et accessoires raffinés pour hommes (et femmes). Ou comment alors que l’on croyait « simplement » découvrir ses étonnantes collections et parler de son savoir-faire si particulier, nous nous retrouvâmes à disserter sur l’essence des choses et plus particulièrement le caractère singulier du plus petit élément du vestiaire masculin, le bouton. De l’ontologie appliquée à la garde robe.

Samuel Gassmann n’est pas devenu créateur d’accessoires et artisan en suivant la voie classique. Journaliste et critique d’art, il s’est  fait happer par son sujet alors qu’il réalisait des recherches pour un reportage proposé au magazine Métropolis sur Arte, dont il était alors un contributeur régulier. Son postulat était de déconstruire le vestiaire masculin pour parler du plus petit élément le composant : le bouton. C’était il y a huit ans. Les recherches durèrent six mois et le sujet ne vit jamais le jour. Qu’importe, de son voyage à Méru, (village de l’Oise, « capitale » historique du bouton ou sont installés les Etablissements F. Mercier, leader dans la fabrication de boutons de nacre, ainsi que le musée de la nacre) il rapporte un lot de boutons réalisés pour lui à des fins d’illustration, par François Mercier. Il les transforme en boutons de manchettes, accessoires du XIXème devenus quasiment obsolètes dans la garde robe masculine ; leur succès immédiat auprès de son cercle d’amis mais surtout de boutiques aussi prestigieuses que Colette, surprend et réjoui le nouveau créateur qui décide de relever le défi et se fait artisan.

Parce que Samuel Gassmann est un être passionné, il va se lancer complètement dans cette aventure. Pour construire sa première collection il va pousser à son paroxysme sa réflexion autour du bouton : D’ou viennent les formes que l’on ne questionne plus ? Il se trouve qu’avec ses 11mm de diamètre (9 pour les femmes), le bouton recèle une mine de codes et d’usages, qui vont nourrir son travail autour de cet objet en apparence anodin, qui se révèle hautement signifiant.

La révolution bourgeoise a doté le bouton de règles d’usage très précises, qui pour certaines perdurent jusqu’à aujourd’hui. Les dimensions d’abord, plus modestes pour les femmes comme nous l’avons vu, mais aussi le nombre de trous : quatre pour les hommes et deux pour les femmes. Certains codes sont eux tombés dans l’oubli, comme la différentiation des matières choisies pour tailler les pièces, qui dépendaient de l’usage du vêtement qui les accueillerait. La vie bourgeoise masculine était à l’époque rythmée par des activités appelant chacune une tenue bien différente. Le négligé pour recevoir chez soi le matin, le vêtement de jour pour vaquer à ses occupations quotidiennes, le vêtement de sport pour la vie au grand air, le vêtement de soir pour les sorties mondaines et enfin le vêtement d’apparat pour les moments exceptionnels de la vie.

Samuel Gassmann a réinvesti ces cinq temporalités, mais loin d’une approche passéiste et patrimoniale, c’est avec une vision symbolique et artistique, pleine de fantaisie qu’il embrasse ces codes. Tout d’abord il décide que la forme archétypale de ses boutons de manchettes reprendra le bouton masculin de 11mm à quatre trous et crée une variante ou les trous disparaissent pour laisser place à une forme en cabochon.

Ensuite il choisit de revenir au système de lien rigide original entre les deux parties du bouton de manchette et délaisse les systèmes modernes de chainettes ou de clipsage. Le lien sera, suivant les temporalités, en argent ou en bronze. L’argent est la matière de base qu’il choisit pour les moments du quotidien et le bronze, matière qu’il investit d’une symbolique d’ornement originel plus forte (l’âge de bronze) sera réservé à l’exceptionnel. Ces liens, réalisés en fonte à cire perdue, seront émerisés puis poli à la main par Samuel qui façonne chacun des boutons de manchette sortant de son atelier.

Pour la gamme « négligé » les matières qu’il imagine sont proches de l’intime, de l’organique. On y trouve l’os, l’ébène, la fourrure, le cuir, les cheveux. Pour le « jour » la nacre franche, très pure et blanche. Pour le soir la nacre grise plus fine. Pour le sport il choisit la porcelaine, décision qu’il avoue totalement arbitraire de la fragilité pour l’exercice physique. Enfin, pour l’apparat, Samuel utilise des matériaux anciens, qu’il chine. Du jais véritable, de l’ivoire, qu’il recycle, des yeux de poupées…autant d’histoires contenues dans ces objets d’un autre temps, qui viendront s’ajouter à l’événement que l’on célèbre.

Le luxe ne se trouve ni dans des matériaux ostentatoires ni dans une démesure démonstrative, mais dans une exagération des archétypes qui font de ces boutons de manchettes des objets artistiques plein de fantaisie et de poésie.

Samuel Gassmann s’amuse des rituels et des cérémonies, qui poussées à leur extrême flirtent avec le futile. C’est dans ce balancement entre ces deux opposés, qu’il trouve un équilibre et une histoire à raconter.

Il a étendu son univers à d’autres accessoires masculins, notamment des cravates, produites par la maison Boivin, pour lesquelles il déroule 140cm de soie pliée en 9 plis veloutés. Une profusion dont seul le toucher peut prendre la mesure.

Samuel Gassmann reçoit dans son atelier sur rendez-vous uniquement :

23, Rue Daumesnil

75012 Paris

Mail : contact@samuelGassmannn.com

Son site www.samuelGassmannn.com Sur lequel on peut acheter les collections

Ses créations sont vendues à Paris chez Colette, Astier de Villatte et Le Bon Marché.

Philippe Atienza, bottier : En pleine lumière

Le lieu est vaste. Une haute voute de pierre de taille et de briques roses, baignée de lumière. C’est dans cet espace du viaduc des Arts, qu’il investit peu à peu que Philippe Atienza bottier, reçoit.

Atienza8web

Il est ici dans son élément. Cet ouvrage d’art du 19ème siècle, transformé en espace de création lui va comme un gant. Philippe Atienza est un homme attaché à l’histoire de sa corporation, à ses traditions et à ses savoir-faire, mais sans passéisme. Il est avant tout un homme ancré dans son époque et tourné vers l’innovation.

Il raconte sans nostalgie mais avec passion, son tour de France en tant que compagnon. Durant huit ans il sillonna la France et s’exerça aux multiples facettes de son art. On sent qu’il a l’amour de l’artisanat chevillé au corps. On s’écarte de la vision parfois muséale de l’artisanat d’art, véhiculée par tant de marques de luxe. Il aime a rappeler que jusqu’aux années 60 les souliers étaient tous réalisés individuellement par des bottiers. Pour lui il est important que ce métier reste vivant.

atienza1web

Atienza9web

Philippe Atienza nous parle de l ‘écoute qu’il faut savoir accorder au désir de l’autre. Elle est vitale, que l’on travaille étroitement avec des créateurs de mode, ainsi qu’il l’a fait pendant les 9 ans ou il dirigea les ateliers Massaro, ou que l’on cherche à satisfaire le souhait affirmé ou plus flou d’un client privé.

Atienza10web

Il marche sur une ligne très fine entre fantasme, bien-aller et création. Cela peut l’emmener très loin. On admire ces souliers aux talons absents, comme en apesanteur, avec leurs accents futuristes et leur air animal réalisés en collaboration avec l’artiste et plumassière Laurence Le Constant.

Son savoir faire s’exprime aussi sur des pièces de facture plus classique issues de sa nouvelle collection : escarpins aux courbes parfaites, tennis souples et racées, en cuir, sandales minimalistes au généreux compensé… mais aussi dans une série de talons aux détails géométriques sculptés puis moulés et coulés en résine. La palette créative semble infinie tant la technique est maitrisée et l’imagination fertile.

atienza3web

Atienza2web

Il nous fait découvrir des machines anciennes, collectionnées et restaurées patiemment, qu’il utilise quotidiennement. On parle alors de bourrelier, riveter, de machine à remplier, à refendre le cuir. Les mots se bousculent et il cite ce poème d’un bottier toulousain du 18ème siècle qui déclare sa flamme à sa mie en termes techniques.

On quitte l’arche lumineuse de Philippe Atienza, ses trésors de cuir, ses formes en bois et ses machines rutilantes, l’odeur de graisse, de colle et des peaux. On le laisse à son bureau, taillé dans une poutre ayant appartenu à l’hôtel particulier de Madame de Maintenon. Un peu étourdies et grisées, comme des jeunes filles sur leur première paire de talons hauts.

Atienza4web

Philippe Atienza Bottier
53, Avenue Daumesnil 75012 Paris
06 80 21 48 98